Et si on arrêtait de vendre du “tourisme solidaire” ?

Il y a des plateformes où l’on “sauve” des éléphants le matin et on donne un cours de français l’après-midi. On paie, on poste une photo, on repart avec la sensation d’avoir “aidé”. J’ai souvent frôlé ce monde-là, séduite par l’énergie et l’urgence.

Pourtant, à y regarder de près, j’y vois un marché de l’émotion : des activités pensées pour nous, notre récit, notre CV—pas forcément pour les besoins d’une communauté. On le sait, mais on détourne le regard : le volontourisme donne bonne conscience, et la bonne conscience a ses agences de voyage.

La critique n’est pas nouvelle : le “white saviorism” prospère dans ces interstices où l’on confond aide et mise en scène. On confère à des passant·es un rôle qui devrait appartenir à des professionnel·les du pays—enseignant·es, éducateur·rices, travailleurs sociaux—ou, pire, on expose des publics vulnérables à notre désir d’“utilité” instantanée. Les articles et tribunes le rappellent : quand l’étranger s’installe au centre de l’histoire, on efface l’agence des personnes concernées, on leur retire le pouvoir du récit et de l’action. Et souvent, l’impact promis s’éteint sitôt notre avion décollé.

De l’autre côté du miroir, le nomadisme digital a ses angles morts. Nos salaires convertis en monnaies locales pèsent sur les loyers ; nos cafés préférés deviennent des signes avant-coureurs de gentrification. On occupe des espaces pensés pour des habitantes et des habitants qui n’ont pas notre mobilité ni notre pouvoir d’achat. Les villes en Amérique latine, en Asie, en Europe du Sud le ressentent déjà : des quartiers entiers changent de visage pour répondre à nos besoins temporaires. Nommer cette réalité ne revient pas à culpabiliser chaque individu, mais à demander : que laissons-nous derrière nous quand nous partons ?

Alors, que faire à la place ? D’abord ralentir. Refuser les missions “à sensation” qui nous placent au centre et privilégier les demandes formulées par des équipes locales avec un cadre clair. S’interdire d’enseigner ce pour quoi on n’est pas formé·e—prof de français ne s’improvise pas parce qu’on parle français. Travailler à distance quand c’est possible, pour limiter l’empreinte et la tentation de “tenir la main” trop longtemps. Et surtout, documenter ce qu’on fait : un livrable sans mode d’emploi n’est pas un héritage, c’est une promesse vide.

Ensuite, reconnaître la valeur du “pas de côté”. On ne vient pas “donner une voix” ; on vient parfois apprendre à se taire, à faciliter la circulation d’outils existants, à renforcer un système qui fonctionnait déjà—il manquait peut-être un site, une page don, une identité plus lisible. L’héroïsme se mesure mal à l’applaudimètre ; il se mesure à l’autonomie de celles et ceux qui restent.

Nomad Impact est ma tentative de cohérence. Je choisis des missions où je peux être utile sans m’installer au cœur du tableau. Je privilégie le sobre, le transmissible, le local-led. Je n’ai pas de solution miracle, mais j’ai une discipline : écouter, produire, transmettre. C’est moins photogénique qu’un “avant/après” exotique, mais c’est exactement ce dont on manque : des outils qui tiennent quand la story est finie.